C'est qui la patronne?

Autant vous le dire tout de suite, la réponse est facile à trouver: je suis la chef de cette maison, et ce n'est pas une espèce de jeune chaton plein de puces qui va me ravir ma place. Non mais sans blague!

Il commence à faire bien froid dehors la nuit, et je me prépare à l'hiver. Je mange le plus possible, et  j'ai un magnifique manteau bien rembourré. Plus rien à voir avec la minette maigrichonne qui traînait dans les poubelles des HLM voisins. Non, j'ai de bonnes joues, et mon corps musclé fait l'admiration de ma copine la boulangère.

Il faut dire que le matin l'herbe est souvent givrée, et que les toits blanchissent.Ma coloc a mis le chauffage en marche, et les radiateurs sont bien chauds. Le siamois s'est même presque brûlé les coussinets dessus l'autre jour, tellement la température est forte. Ça lui apprendra à faire attention!

Super Mamie vaque à ses occupations,sans excès. Elle ne peut plus aller au spectacle pour l'instant, et donc limite ses sorties aux réunions syndicales , à la musique ,au do in et au club des champions.Elle fait les courses et prend le bus et la voiture, sans forcer.

Elle pédale tous les jours sur son vélo d'appartement, et essaie de marcher le plus possible.L'autre dimanche, elle est allée admirer les jets d'eau et les canards en métal du parc proche.

Son genou a retrouvé une taille normale: on peut même dire qu'il ressemble de plus en plus à l'autre genou, si l'on excepte la cicatrice et les traces d'hématome. Deux espèces de nœuds ressortent encore: probablement des fils résorbables qui ont oublié de se résorber, comme d'habitude.Presque plus besoin de canne, montée des escaliers plus facile, descente nickel.Elle se plaint encore de raideurs, mais rien à voir avec les douleurs précédentes.Elle commence à retrouver l'espoir de se sentir mieux.Le bracelet magique l'aide aussi à contrôler ses exercices.Bientôt, retour au tai chi, et là, le genou n'aura qu'à bien se tenir. Il a intérêt à plier correctement, sinon...

Super Mamie a du travail avec nous, les félins. Bouboule ne pose aucun problème: il est presque toujours dans la maison, et il fait ce qu'il sait faire de mieux: dormir.Il vient se faire grattouiller pendant les jeux télévisés, et ma coloc dit qu'il est bien le plus gentil.En tant qu'ancien SDF, il sait la valeur de l'accueil, et il est reconnaissant.Fayot!

Le faux siamois prend du bide: il ne mange pas énormément, mais il se repose beaucoup. Il partage le lit royal , discrètement mais fermement.Il tolère Bouboule mais pas plus que ça.

Quand Super Mamie se lève, il la précède dans l'escalier, accueilli dans la cuisine par son copain le pot de colle, dont on ne sait pas si il a dormi à la maison ou chez lui. La cérémonie du petit déjeuner se déroule sans le squatter, qui se fait régulièrement virer. Ma coloc veut bien qu'il rentre à la maison, mais elle refuse de le nourrir. L'autre jour, elle a cédé, par flemme de le mettre dehors, et elle a été bien punie lorsqu'elle a respiré les flatulences provoquées par le changement de régime de l'intrus.Déjà qu'il bouffe nos croquettes, il ne va pas se mettre aux pochons de Félix, non mais! Le meilleur argument pour lui refuser, c'est que ça le fait trop péter!

Une fois les fauves nourris, notre Super Mamie peut déjeuner tranquille et tenter de lire le journal déposé de bonne heure dans la boîte.Et ça c'est pas gagné d'avance.

Le jeunot attrape sa baballe et l'apporte à sa bienfaitrice, précisément lorsqu'elle entreprend sa lecture du quotidien régional. Il monte sur la table et pose la balle sur le papier, jusqu'à ce qu'elle lui lance l'objet. Un vrai cabot! Si elle l'ignore, il se couche carrément sur le journal, donc elle est bien obligée de participer au jeu.Il part à fond les gamelles et revient tout fier, la balle dans la gueule, et rebelote une bonne dizaine de fois. Autant vous dire que souvent, elle ne dépasse pas la page des infos locales de la Sarthe sud.

Après, deux cas de figure: certains matins, je montre ma frimousse à la fenêtre du salon, côté rue. J'ai mes habitudes. Si l'intrus est dans la maison Super Mamie lui court après pour le mettre dans le jardin et fermer toutes les issues.Ensuite elle vient m'ouvrir la fenêtre.J'enjambe précautionneusement le rebord, en regardant bien autour de moi si aucun gêneur ne va entraver ma marche, et là, rassurée, je me dirige vers ma gamelle.

J'ai droit à double ration de nourriture, et les deux autres habitants viennent me renifler, et même me léchouiller gentiment, si je ne grogne pas.Comme le balourd ne comprend rien, il persiste à essayer de m'amadouer. Je finis par m'habituer à lui, mais je le tiens à distance raisonnable. Il ne faudrait pas qu'il s'imagine que je vais être gentille avec lui: je ne suis pas sa mère, ni sa copine!Faut pas exagérer tout de même! J'ai ma dignité!

Le rayé nous regarde depuis le jardin.Ma coloc ne lui ouvre pas: elle sait que dès qu'il pourra , il se mettra à ma poursuite, m'obligeant à interrompre ma digestion pour grimper au portique le plus vite possible.

Souvent, elle garde les portes fermées, de façon à ce que je me pose un peu sur une chaise ou un tabouret, puis elle me laisse repartir vers mes planques inconnues.

Evidemment, dès qu'elle ouvre une porte ou une fenêtre, je m'évade, et l'autre en profite pour revenir, provoquant ma fuite immédiate.Ma coloc a donc inventé le principe de l'alternance féline. Une entrée, une sortie!

L'après-midi, l'intrus fait la sieste sur le lit gouvernemental, et Super Mamie en profite pour lui tuer quelques puces, parce que le traitement ne fait plus effet. Il se laisse faire, beaucoup plus que le siamois d'ailleurs, qui n'aime plus du tout les caresses et préfère trôner tout seul sur le canapé. Je crois que ce minet rayé s'ennuie: son coloc n'est pas là de la journée, et on ne peut pas trop lui en vouloir de rechercher la compagnie charmante de ma fournisseuse de nourriture préférée.Sans compter qu'il s'entend trop bien avec le faux siamois.

Le soir, on recommence: si j'en ai envie, je pointe le bout de mon nez à la fenêtre, de préférence lorsque Super Mamie vient de s'installer dans son super fauteuil, et rebelote. Évacuation et exil de l'intrus, ouverture de la fenêtre, distribution de nourriture, etc.Je pousse même la gentillesse jusqu'à venir me faire caresser et grattouiller sur les genoux de ma coloc, trop contente de m'avoir pour elle.

J'ai suffisamment de réserves pour supporter le froid nocturne, si bien que je profite du soir pour m'en aller. Les deux jeunes s'en donnent à cœur joie: ils jouent avec les balles, ou autour du super jeu jaune.Ils font quelques prises de judo, et de nombreuses roulades sur le paillasson.

Pour le jeu à piles,le siamois a un style très particulier: il s'allonge paresseusement, donnant quelques coups de patte pour montrer qu'il essaie d'attraper le bout de plastique tournant, sans trop de conviction. Même Bouboule adore ce jeu. Il retrouve son enthousiasme de chaton, un vrai plaisir!

Nous avons donc adopté un modus vivendi particulier, et pour l'instant tout le monde est content! Peut-être qu'en vieillissant l'intrus va me laisser tranquille?

Givre matinal. Comment jouer décontracté! Étirements sur le vélo d'appartement.